Portfolio Un oiseau aux ailes repliées

13 diptyques noir et blanc, tirages Fine Art d'après négatifs
9 photographies noir et blanc argentiques

13 diptyques noir et blanc, tirages Fine Art d'après négatifs
9 photographies noir et blanc argentiques
Tourner autour de la pièce manquante, parfois en pure perte, d’autres fois en dérivant vers des zones inconnues où l’on ne pensait pas mettre les pieds.
Alain Veinstein. Du jour au lendemain


Entre 2010 et 2018 j’ai participé aux activités d’une structure d’accueil de jour du 10e arrondissement de Paris, le CAMRES, sorte d’arche surnommée Tchâixâna ou maison de thé par les jeunes exilés afghans qui venaient s’y poser. Je ne photographiais pas, je servais les petits-déjeuners du mardi. Rencontres fortes de vie, agapes aux mille visages, où grâce à la langue persane étudiée -véritable passeuse dans cet espace-, le dialogue advenait dans la fragilité même de cette expérimentation linguistique. Langue mêlée où circulent dialectes et idiomes -ici le Farsi-é Dari de l’Afghanistan-, la langue persane trouve aisément son chemin dans le jeu des mots et la poésie. Souple et spirituelle, elle a le génie de pouvoir renvoyer une image légère et enjouée au creux des tristesses et des âpretés.

La série Un oiseau aux ailes repliées* s’est ancrée dans cette expérience puissante et mystérieuse. Si le projet artistique est resté impénétrable tout du long et n’a dévoilé sa forme que tardivement, l’écriture et le langage en ont formé le socle et la question dès le début. Au-delà des apparences, que révélaient les intimes géographies tracées sur des vitres de cabines téléphoniques : Bâmiyân بامیان, Kâboul کابل, Konar کونر, Kandahâr کندهار, Mazâr مزار ? Et ces annotations en creux sur les pages de garde d’ouvrages parcourus en tous sens et serrés sur les rayonnages de petites bibliothèques ? La photographie a cheminé à l’intérieur de ces écritures-matières et autour de leur incandescence. Dans les régions dédales de l’exil où croisent l’empreinte du temps, l’effroi, le relief d’une terre, l’enfance, la douleur, le désir…

En m’attachant à ces fragments -à ces “souvenirs” yâd gâr en persan-, au plus près de l’ombre du papier et de la courbe des mots, j’ai tenté d’entrevoir les espaces “sacrés”, où avec courage et dignité les attentes et les rêves poursuivent leur voyage dans l’Être. Dans l’idée de les faire converser j’ai choisi la forme du diptyque et leur ai adjoint neuf photographies de la série Dans le cœur passe une image, réalisée précédemment en Afghanistan. Aidée de deux persanophones, j’ai traduit un ensemble assez large des annotations persanes et les ai rassemblées. Je n’ai gardé parfois qu’une partie de la note, voir un mot, puis je les ai montées en forme de litanie en prêtant attention, à la force de l’expression, aux errances de la mémoire, aux aspirations révélées.


*Dans chaque mot il y a un oiseau aux ailes repliées qui attend le souffle du lecteur. Emmanuel Levinas

Livre frise

En projet

En projet
[...] chers frères et sœurs n’ouvrez pas la page suivante
habitant
larmes
débordement
perles noires
ma ghazni antique
mon quartier plus beau que le paradis
j’ai versé l’eau sur les mains de mon père
tu m’as dit la promesse est dans le printemps 
ma mère aux yeux
sept ans d’errance
le plus grand chagrin de ma cité
allez encadrer vos photos avec les os de ma poitrine
balkh bâmiyân kaboul spinbordak djalalabâd
mazâr kandahâr hérât maïmâna lachkargâh
istalif ghazni paghmân mehterlam keshem
tourment
grâce
répit
mes petits écrits en souvenir pour les autres [...]

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