Textes
Éric Auzoux, Humanisme et Photographie depuis Steichen
Texte des catalogues My brother's image / L'Image de mon frère
Exposition Kurdistan land of light. Festival Photosynkyria, Thessalonique, Grèce 2002
“The Family of Man” (1955) a constitué un moment clé dans l’histoire de la photographie comme agent. En pleine guerre froide, alors que colonialisme et discrimination raciale mènent de sanglantes opérations, la photographie est en première ligne pour affirmer “qu’il n’y a qu’un homme au monde et que son nom est tous les hommes” selon les termes de l’un des contributeurs de Family of Man, Carl Sandburg.
Roland Barthes n’avait sans doute pas tort de relever “l’adamisme“ de l’approche d’Edward Steichen, dans l’une de ses Mythologies de l’époque, mais il n’avait pas raison d’en critiquer le défaut d’historicité ne tenant pas compte pour sa part du contexte historique qui avait vu surgir une initiative unique en son genre.
Aujourd’hui, encore que les théories racistes ne se soient pas avouées vaincues, c’est l’affirmation brutale d’identités réprimées ou dominantes qui constitue le terreau du mépris et de la haine.
La photographie sera-t-elle, avec ses moyens propres, en mesure de contribuer à empêcher les dégâts causés par ces heurts physiques mais aussi imagés, en rendant visible la parenté des peuples et des êtres ?
Le combat entre “la force créatrice de la vérité“ et “la malignité destructrice du mensonge“ désigné par Edward Steichen n’est pas dépassé. Il se déroule sur une autre toile de fond. Les systèmes d’idées délimitant en camp de manière parfois simplificatrice ont été balayés par ce que Cornelius Castoriadis identifiait, au début des années 90 comme une “vague d’éclectisme, de collage et de syncrétisme invertébré“. L’image a été, à l’évidence, au cœur des changements de perspectives idéologique et technologique, de la dernière décennie du siècle.
Après avoir couru derrière l’art contemporain et s’être beaucoup regardée au miroir, la photographie, retrouvant l’énergie de ses périodes-phare, semble décidée à rouvrir grand les yeux sur le monde et ses habitants.
Loin de nous l’idée d’exiger d’eux pour figurer, qu’ils appartiennent à des Fronts de Libération ou aux rubriques “people“ des magazines. Sans pour autant laisser du champ à l’indécrottable exotisme ou à son jeune cousin le maniérisme de l’ordinaire. Entre cette alternative se situe le vaste espace dédié au respect.
Dorothea Lange a longtemps affiché sur la porte de sa chambre noire ces mots de Francis Bacon : “la contemplation des choses comme elles sont, sans substitution ni imposture, sans erreur ni confusion, est en soi, plus noble que toute une moisson d’inventions“.
J’espère ne pas me tromper en estimant que depuis son entrée en scène, la photographie a plus souvent contribué à l’éveil qu’à la manipulation ou à la tromperie. Mais je me demande si au milieu d’une telle prolifération de messages et d’images, elle est encore capable de contribuer au vivre-ensemble.